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La gendarmerie pendant la campagne de Tunisie (novembre 1942 - mai 1943)

Le 8 novembre 1942, le débarquement anglo-américain porte la guerre en Afrique du Nord, épargnée jusque-là. De novembre 1942 à mai 1943, les gendarmes de Tunisie se retrouvent au coeur d'une lutte sans merci opposant pour la première fois les Américains aux troupes italo-allemandes.

Entre le 8 et le 10 novembre 1942, une grande confusion règne en Afrique du Nord. A cette date, il existe trois légions de gendarmerie départementale en Algérie, au Maroc et en Tunisie, ainsi que trois régiments de la garde, séparés de la gendarmerie depuis novembre 1940 : le 7e (en Algérie), le 8e (en Tunisie) et le 9e (au Maroc). Si les gendarmes départementaux reçoivent l'ordre de s'en tenir à une prudente réserve, des éléments de la garde sont engagés dans des combats aussi tragiques qu'inutiles contre les troupes anglo-américaines en Algérie et au Maroc. Plusieurs d'entre eux sont tués. Pour contrer le déploiement des Alliés en Afrique du Nord, Hitler décide de constituer une tête de pont en Tunisie, avec l'accord du gouvernement français. Le 9 novembre, en fin de matinée, une escadrille allemande atterrit à l'aéroport d'ElAouina près de Tunis. Les jours suivants, les troupes allemandes occupent Tunis et s'infiltrent vers l'intérieur.

La reprise des combats

Partiellement paralysés par la résistance rencontrée à Casablanca et Oran, les Alliés ne peuvent guère prendre de vitesse les Allemands. En revanche, l'armée française stationnée dans la Régence serait en mesure de repousser les premiers éléments germano-italiens précipitamment dépêchés par la voie des airs et de la mer. Mais ordres et contre-ordres se succèdent ajoutant à la confusion. Le colonel commandant la légion de gendarmerie de Tunisie envoie le message suivant à ses commandants de compagnie: " Quoi qu'il arrive, tout le personnel de la légion de gendarmerie de Tunisie restera sur place. En se tenant strictement sur le terrain professionnel, continuer à assurer la protection des personnes et des biens ".
Le 12 novembre, le général juin, commandant en chef des forces françaises d'Afrique du Nord, donne l'ordre de s'opposer aux Allemands. Le général Barré, commandant supérieur des troupes en Tunisie, estimant que ses forces, 12 000 hommes, disséminées sur toute la Tunisie ne peuvent s'opposer efficacement aux Allemands, décide de les regrouper sur la ligne Tabarka-Gafsa. Toutes les garnisons de la côte et de la plaine tunisienne reçoivent l'ordre de décrocher. Du 8e régiment de la garde de Tunisie, seul le 3e escadron, stationné à Bizerte, ne se joint pas au mouvement. En effet, après avoir désigné l'Allemand comme ennemi, l'amiral Derrien, commandant de la base, revient sur sa décision.

Le premier engagement se déroule le 19 novembre 1942 à Medjez-et-Bab, petite bourgade au carrefour des deux grandes routes Bizerte-Le Kef et Tunis-Alger.

Alors que le gros des forces alliées est encore loin de la Tunisie, les troupes françaises du général Barré, sous-équipées, s'opposent au passage de la Medjerda par l'avant-garde allemande et livrent le premier combat de la campagne de Tunisie. Des gardes du 8e régiment de la garde de Tunisie y participent et assistent ainsi à la reprise de la lutte pour la libération par l'armée d'Afrique après la défaite de 1940. Dans les jours qui suivent, quatre escadrons du 7e régiment de la garde d'Algérie font mouvement vers la Tunisie. Au total, au début du mois de décembre 1942, dix escadrons (5 du 7e régiment et 5 du 8e régiment) sont engagés dans la campagne de Tunisie au sein du détachement du général Juin.

Du fait de l'arrivée des troupes anglo-américaines et de celles de l'Axe, le territoire tunisien se trouve rapidement divisé en deux zones délimitées par un front continu sur une ligne approximative Mateur-Gafsa. Les deux offensives alliées des 24-25 et du 27 novembre 1942 ainsi que la contre-attaque allemande du 8 décembre 1942 n'empêchent pas une stabilisation du front pour de longs mois. La gendarmerie de la zone occupée par les troupes de l'Axe, à l'est de la ligne Mateur Gafsa, est placée sous le commandement du lieutenant-colonel Rosanvallon, chef de légion. Celle de la zone libre, dite "détachement de la gendarmerie de la zone des opérations", se trouve sous le commandement du chef d'escadron Nassivet, parti de Tunis le 16 novembre au matin pour gagner Le Kef.

Dans la zone occupée de la Tunisie: de novembre 1942 à mai 1943

Un tiers à peine du territoire tunisien passe sous domination italo-allemande. Les Allemands reconnaissent la souveraineté française en Tunisie contre l'avis des Italiens. Ils installent une administration française parallèle fournissant des collaborateurs aussi peu nombreux que fanatiques. La police locale et la gendarmerie se voient imposer des membres du Service d'ordre légionnaire (SOL) n'ayant aucune formation policière. Le lieutenant-colonel, commandant la légion de Tunisie, se montre plutôt conciliant avec les membres du SOL et n'hésite pas écrire : " Je compte sur tout le personnel de la légion pour apporter à cette collaboration, avec les Français d'élite que sont les SOL, le bon esprit et le dévouement qui sont de tradition dans la gendarmerie. Les uns et les autres animés par la même fidélité aux ordres du maréchal et la même foi dans les destinées de la patrie, sauront, j'en suis certain, apporter à la tâche commune, le même entrain, la même ardeur, et concourir ainsi très efficacement au relèvement de notre pays ".

L'arrivée des troupes de l'Axe en Tunisie a plusieurs répercussions. Parfois, l'occupant impose ses propres forces de police, comme à Djedeida, où des civils italiens constituent la police à la Noël 1942. A Gabès, la caserne est en partie occupée par des carabiniers de Libye. De même, les gendarmes perdent leur liberté de mouvement et doivent quémander des attestations pour pouvoir se déplacer en véhicule. Des mesures plus autoritaires encore sont prises. Le 23 décembre 1942, le commandant du détachement des troupes italiennes stationnées à la Chebba consigne la brigade à résidence. Un couvrefeu est même imposé aux gendarmes et à leurs familles. Quelques jours après, le personnel de la brigade est désarmé.

L'occupant intervient dans le service de la gendarmerie bafouant ainsi son autorité face à une population musulmane hostile. Dans la région de Djedeida, les gendarmes ne peuvent pas interroger les ouvriers indigènes qui, soupçonnés de pillage, travaillent pour le commandement allemand. Ce dernier s'oppose à toute action jusqu'à la fin des travaux.

Face à cette présence étrangère, certains gendarmes n'hésitent pas à choisir la voie de la résistance. Aidé de plusieurs camarades, le commandant de la brigade motorisée de Tunis protège des prisonniers de guerre alliés et empêche la mainmise, par les troupes de l'Axe, sur les denrées de première nécessité. Des gendarmes auxiliaires indigènes font également preuve de loyalisme malgré ce climat francophobe. Parmi eux, celui de la brigade de Bou Thadi, qui héberge les agents de renseignement travaillant au profit de la cause alliée. Dénoncé par un de ses messagers indigènes, tombé aux mains des Italiens, il subit quatre mois de captivité et n'échappe au poteau d'exécution que grâce à la libération accélérée du territoire. D'autres gendarmes passent en zone libre. Au 9 mars 1943, on compte cinq gendarmes venant de Zaghouan, de Pont-du-Fahs, de Tunis, de l'Ariana et de Sfax, un gendarme auxiliaire indigène de l'Ariana ainsi que deux gradés de Mateur.

La répercussion la plus grave de l'occupation de la Tunisie est la remise en cause de l'autorité française. Les gendarmes assistent à une recrudescence considérable du pillage. Ces exactions se produisent dès l'arrivée des troupes de l'Axe. Du 8 novembre 1942 au 13 mai 1943, les gendarmes de la zone occupée arrêtent 1 273 personnes pour pillages, vols à main armée ou meurtres. Ils récupèrent une quantité impressionnante d'armes. De nombreux musulmans tunisiens ne respectent plus l'autorité française. En février 1943, une délégation de notables de Nabeul se rend à la kommandantur locale pour demander que les Tunisiens ne soient plus placés sous la domination française et passent sous l'autorité allemande. Cette démarche a eu lieu à la suite de l'arrestation mouvementée d'un ivrogne par la police. Plus grave, dans la région de Mahdia, les membres du Croissant-Rouge organisent à Ksour Essaf une police parallèle ne comprenant que des destouriens.

Si le front reste stable pendant plusieurs semaines, les Allemands lancent, le 14 février 1943, une foudroyante offensive à Kasserine qui bouscule les Alliés. Les hommes de Rommel entrent à Gafsa le 15 février tandis que leurs camarades enlèvent Sbeïtla, Sbiba, Kasserine et Fériana. Les Allemands repartent à l'assaut le 20 février mais ils se heurtent à une vigoureuse résistance alliée, qui les rejette sur Kasserine le 25 février 1943. Ils n'insistent pas et retournent sur leurs positions de départ.

En zone libre, sur le front des opérations

En zone libre, les gendarmes remplissent plusieurs missions, parfois similaires à celles de la zone occupée. La première action concerne la sécurité du territoire. Un réseau de surveillance avec les brigades apporte au commandement français de précieux renseignements sur l'ennemi. De même, la circulation est réglementée. Les gendarmes encouragent la population musulmane à dénoncer les éléments ennemis présents sur le sol tunisien, moyennant une prime de 5 000 francs pour tout parachutiste ennemi ramené vivant et de 3 000 francs pour tout parachutiste mort.
L'attitude des populations musulmanes constitue une sérieuse préoccupation. Les Allemands se présentent à eux en libérateurs. Leur radio a remarquablement préparé le terrain en exaltant la puissance du Reich, sa haine des juifs et son respect de l'Islam.

Pour stimuler ce zèle, les Allemands libèrent des condamnés politiques, rapatrient ceux qu étaient exilés, et jouent la carte du ravitaillement. Dès les premiers combats, des Tunisien apportent leur aide aux troupes allemandes Des patrouilles, des parachutistes, des aviateur allemands sont souvent hébergés, guidés et déguisés par les fellahs.

Comme en zone occupée, les gendarmes sont confrontés à une recrudescence du pillage surtout dans les zones de combat. Les régions de Medjez-et-Bab, Le Goubellat, El-Aroussa et Bou-Arada sont particulièrement touchées. Dans la zone envahie par l'ennemi, le pillage règne pendant plusieurs jours et les localités de Sbeitla, Kasserine, Vériams, Moularès et Gafsa sont mises à sac. Du 8 novembre 1942 au 17 février 1943, les 30 brigades et postes de la zone libre procèdent à 581 arrestations dont 47 pillards, 146 voleurs, 101 déserteurs et 3 espions, 41 individus ayant franchi la ligne. Le 23 mars 1943, le nombre des pillards arrêtés s'élève à 203 .

Les conditions de travail dans les zones de combat sont particulièrement difficiles. Plusieurs fois, des brigades sont contraintes de se replier. En avril 1943, le chef d'escadron Nassivet rend hommage à ses hommes : "Au cours de ma récente tournée dans votre circonscription, j'ai constaté que les militaires des brigades repliées puis réinstallées, dont la plupart ont à peu près tout perdu pendant l'occupation de leur résidence et dont certains n'ont même pas retrouvé leur caserne, poursuivaient la répression du pillage avec une ardente activité. Sans s'attarder à de vaines lamentations sur leur propre sort, travaillant dans des conditions inconfortables et pénibles, mettant l'intérêt supérieur du pays au-dessus de toutes préoccupations, tous font leur devoir avec cœur, entrain, perpétuant ainsi les nobles traditions qui ont fait l'inégalable réputation de la gendarmerie ".
Au début du mois de mars 1943, la perspective de la libération de la Tunisie gagne les esprits. Dans l'éventualité d'une disparition de la gendarmerie en zone occupée, des détachements de gendarmes sont constitués en zone libre pour s'installer dans les brigades libérées au fur et à mesure de l'avance alliée. Par ailleurs, neuf détachements de gendarmerie composés chacun d'un officier et de 15 gendarmes sont constitués en Algérie pour opérer, comme des prévôtés, immédiatement derrière les troupes combattantes. 

Leur action porte sur les armes cachées, les prisonniers de guerre déguisés en indigènes musulmans et surtout sur la répression des pillages et des crimes d'intelligence avec l'ennemi. La présence de mines accroît encore le danger de ces missions et coûte la vie à trois gendarmes. Deux autres sont blessés.

La libération et ses lendemains

Le 26 mars 1943, les chars de Montgomery reprennent l'offensive contre la ligne Mareth, tandis que la colonne de Leclerc, soutenue par une division néo-zélandaise et deuxrégiments de blindés, débouche sur les arrières des Allemands. Les troupes de l'Axe se replient vers le Nord, sous les bombardements de l'aviation anglo-américaine.

Le 10 avril, les Anglais occupent Sfax, le 11 Kairouan et, le 12, ils sont à Sousse. Les forces italo-allemandes perdent la partie mais elles se livrent à une lutte acharnée pendant un mois encore. L'assaut final est donné le 6 mai. Les Allemands, rejetés au cap Bon, opposent une dernière résistance jusqu'au 12 mai où Von Arnim doit se résigner à une capitulation sans condition.

La fin des opérations militaires en Tunisie ne signifie pas la fin du conflit. La gendarmerie participe donc à la mobilisation des forces. Le 8 mai, la mobilisation des classes 1930 à 1943 est décidée. L'Afrique du Nord fournit un effort considérable pour la libération du territoire national. D'autre part, la gendarmerie aide à la récupération du matériel ennemi abandonné.

En outre, la gendarmerie prend part à l'épuration de la Tunisie. Le 8 mai 1943, une délégation à la sécurité générale de la Tunisie est mise en place sous la direction du général de gendarmerie Mourot. Elle vise à réprimer les menées antifrançaises dans les grandes villes tunisiennes et surtout Tunis, dès leur libération par les Alliés. Cette action est dirigée conjointement par le 2e bureau du contrôle supérieur du territoire tunisien, la sécurité militaire, la police de Tunis et la gendarmerie. Cette dernière reçoit plus spécialement pour mission, pour Tunis seulement, d'enquêter sur les Français ayant appartenu au SOL et au Parti populaire français (PPF). Du 8 mai au 28 juin 1943, elle procède à 3 255 arrestations. Le 26 juin 1943, le général de Gaulle reproche au général Mourot une épuration excessive. Il doit quitter ses fonctions peu après.

Le bilan de ces six mois de conflit est lourd pour la légion de gendarmerie de Tunisie. Elle a perdu huit gendarmes et un gendarme auxiliaire indigène. De plus, 17 gradés ou gardes du 8e régiment de la garde sont morts. Plusieurs casernes ayant souffert des bombardements sont détruites ou inutilisables comme Bizerte, Sousse, Sfax, Tebourba, Djedeida ou Medjez-et-Bab. Des logements en dehors des casernes ont été détruits à Tunis, Sousse et Sfax. Plusieurs militaires ont perdu leur mobilier, soit par destruction, soit par pillage.

Un certain nombre de véhicules automobiles a disparu (bombardements, mitraillages, réquisitions). Quelques brigades désarmées par les troupes de l'Axe n'ont pu récupérer leurs armes . Certaines familles se trouvent dans le dénuement le plus complet. Cet épisode historique témoigne des deux attitudes de la gendarmerie face à une invasion. Une partie des gendarmes s'est retrouvée du côté des forces combattantes de libération, une autre est restée sur place pour protéger les populations au risque d'une compromission avec l'envahisseur.

Aspirant Benoît HABERBUCH
Revue de la gendarmerie nationale, hors série numéro 3, 2002